0 Partage

Article écrit par :

Si la crise Covid-19 ne ressemble en rien aux crises mondiales qui l’ont précédée, ses conséquences sur le secteur des télécommunications pourraient, non seulement être profondes mais aussi et finalement se porter sur des points assez comparables à ceux que l’on avait pu observer précédemment. En termes d’impact économique en particulier, les trois mêmes piliers pourraient être mis en question : croissance des revenus, maintien des marges et, potentiel d’investissement… pour des motifs à chaque fois différents.

Quels enseignements pour la crise Covid-19 ?

Peut-on établir quelques points de comparaison pour esquisser ce qui attend le secteur au sortir de la crise Covid-19, de nature radicalement différente ? Plus sans doute que l’on pourrait s’y attendre en premier abord, en particulier au regard de l’impact sur les principales variables économiques du secteur.

Quelques signes positifs à court-terme…

Des premiers signaux encourageants ont manifesté la bonne tenue du secteur. Sur le plan technique, les réseaux ont tenu. Entendons par là que l’explosion de la demande liée aux conditions imposées par la crise (télétravail, confinement) a pu être absorbée sans accident majeur, au prix simplement de quelques aménagements à la marge, tels que le bridage des débits d’applications vidéo particulièrement gourmandes. On notera toutefois que les investissements des opérateurs sont, depuis plusieurs années, orientés vers la satisfaction de cette quête de débit et de capacité (avec une demande qui progresse « naturellement » de 20% à 50% par an mais réalisée ici en quelques semaines avec le confinement) et que cette course effrénée n’est sans doute pas près de s’arrêter.

Sur le plan marketing d’autre part, les clients se montrent en cette période plus fidèles qu’à l’accoutumée, réduisant le churn et, par là, les frais liés à l’acquisition et la rétention de clients. On observera là aussi que cette heureuse nouvelle intervient dans un contexte où les opérateurs ont fait assaut de bonus auprès de leurs clients afin de leur procurer, le plus souvent gratuitement (i.e. sans supplément tarifaire), une palette élargie de programmes et d’applications, sous couvert de besoin accru de divertissement et d’occupation en confinement. En oubliant (temporairement ?) la question de la valorisation des services, lancinante au cours des dernières années.

Pour autant, et c’est la troisième bonne nouvelle, les marchés financiers ont plutôt salué le bon comportement des acteurs des télécommunications, et du numérique de manière plus large : si les vedettes restent les pépites de l’Internet (les grandes comme les moins grandes), les opérateurs ont vu aussi leur capitalisation se redresser rapidement, et de façon plus ou moins marquée, après la chute des premiers instants de manifestation de la crise. Les actions Orange et Deutsche Telekom par exemple ont perdu environ un tiers de leur valeur entre mi-février et mi-mars (un peu moins pour l’opérateur français, un peu plus pour l’allemand) mais les deux ont rebondi de plus de 20% ensuite, très rapidement pour Orange notamment.

… mais des interrogations à moyen-long terme

Au-delà de ces quelques aspects positifs de court terme, un grand nombre d’interrogations demeurent pour le moyen et long terme, notamment en raison du contexte déjà tendu dans lequel intervient cette nouvelle crise. Sur le plan économique plus large, les prévisions de « croissance » de PIB sont désormais au mieux de -7% au sein de la zone Euro pour 2020. Même si l’on peut attendre un rebond pour la suite, l’impact risque d’être, comme l’a montré la précédente crise financière, marqué durablement pour les acteurs des télécommunications.

La question de la croissance est posée, en Europe singulièrement, depuis une dizaine d’années. Si la poursuite de la demande en volume (trafic) ne fait guère de doute (elle pourrait même de nouveau accélérer), la question de la valorisation, et donc de la traduction en croissance de chiffre d’affaires, se pose plus que jamais. Aux contraintes budgétaires des entreprises et des ménages pourrait s’ajouter l’habitude ou la prise de conscience, notamment de la part du grand public, que le « gratuit » devient la règle : charge aux opérateurs de valoriser l’accès (question récurrente depuis plusieurs années) ou de trouver des financements via des tiers-payants.

La fidélisation, tenue par le confinement, pourrait faire long feu dès lors que les consommateurs retrouveront leur liberté et que les opérateurs tenteront de sortir du « toujours plus de gratuit ». Aussi, les frais liés au changement d’opérateur, désormais pris en charge pour l’essentiel par les opérateurs eux-mêmes, pourraient repartir à la hausse, grevant les marges.

La troisième interrogation porte sur le potentiel d’investissement. Les déploiements de réseaux fibre et 5G sont nécessaires pour continuer à suivre le développement du trafic mais les opérateurs ont pour certains d’ores et déjà atteint des niveaux d’effort à la limite du supportable et, en l’absence de perspectives de croissance de revenus ou de marge, ne sauraient continuer d’augmenter. Les contraintes de dépenses pourraient limiter le potentiel de déploiement et donc restreindre la capacité à répondre à l’explosion de la demande. D’autant que, sur le front mobile, les actions pour mettre en avant les risques sanitaires liés à la multiplication des antennes trouvent un écho particulièrement fort en cette période de pandémie et, que bien sûr, la crise a provoqué un report des attributions de fréquences 5G pour les pays qui ne l’avaient pas encore fait, à commencer par la France !

 

Se dessine ainsi, à travers ces quelques points, une image très nuancée, avec un secteur à la manœuvre et très en vue dans la période présente mais pour lequel les défis à terme n’auront jamais été aussi marqués. Les mois à venir nous éclaireront très certainement mais gageons dès à présent que les opérateurs sauront, comme lors des crises précédentes, trouver dans l’innovation et les restructurations, les moyens de faire face