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Et si Jean-Marie Messier avait eu raison trop tôt ? C’est la question de beaucoup d’observateurs devant les opérations réalisées en 2015. Rappelons que nous avons vu en 2015 le N°1 des télécommunications aux États-Unis prendre le contrôle du N°2 de la "Pay-TV" tandis que Verizon lançait un service vidéo sur mobile, Vivendi acquérir le statut de premier actionnaire de Telecom Italia, le patron d’Altice et de SFR investir dans les médias et les droits du football, suivant en cela BT qui avait mis plus de 1 milliard EUR en février pour s’assurer une part des droits exclusifs de la Premier league sur trois ans…

Vers une désintermédiation de l’accès aux programmes ?

Au-delà des arguments du débat théorique et déjà ancien des économistes sur les limites des stratégies d’intégration verticale, il nous faut reconnaître une tendance nouvelle et de fond qui semble aller dans un sens contraire au retour de la convergence. À l’heure de la généralisation du haut et très haut débit, d’une concurrence de plus en plus effective entre les fournisseurs d’accès, d’une attention scrupuleuse à la neutralité de l’Internet mais qui s’accompagne aussi d’une forte polarisation des applications et des internautes sur quelques plateformes, il n’est pas sûr que les opérateurs télécoms (ou les câblo-opérateurs) aient vu leurs atouts se renforcer pour s’imposer comme les distributeurs prépondérants des médias audiovisuels. La tendance est à la globalisation et à la désintermédiation.

En caricaturant à peine, avec un serveur et quelques prestataires techniques, vous pouvez valoriser des droits audiovisuels à l’échelle internationale. Hollywood dominait l’industrie, mais les grands studios avaient néanmoins besoin des réseaux câblés aux États-Unis ou, à l’international, des chaînes de télévision largement nationales… Aujourd’hui, ils observent Netflix, Amazon, YouTube ou les ambitions de Facebook dans la vidéo et n’hésitent pas à tester et à investir dans des stratégies de distribution directe. Dans ce contexte, ce sont les droits audiovisuels qui comptent et, derrière, la taille qui vous permet de les détenir par acquisition ou autoproduction en les amortissant sur des dizaines de millions de consommateurs. Les stratégies les plus audacieuses et ambitieuses des opérateurs télécoms dans l’audiovisuel doivent donc trouver leur cohérence dans la taille qu’ils ont acquise ou dans les anticipations d’une consolidation internationale de leur secteur.

L’investissement dans les programmes : un facteur de consolidation pour les opérateurs télécoms ?

Si ce raisonnement sommaire constitue bien la toile de fond, à bien des égards nouvelle, de la relation contenant-contenu, il ne condamne évidemment pas toutes les initiatives audiovisuelles des opérateurs télécoms ou des câblo-opérateurs, même de tailles modestes. Ils sont légitimes dans la construction d’un écosystème qui joue sur les bundles – les offres triple-play ou quadruple-play pour renforcer la fidélité de leur clientèle. À cet égard, les évolutions de la technologie rendent moins coûteuse la construction d’une offre audiovisuelle panachant l’accès aux chaînes de télévision et le référencement ergonomique et marketing de services OTT (Over-The-Top). Mais cela ne permet pas de voir dans les opérateurs haut débit fixes et mobiles, une vocation naturelle à devenir des distributeurs rémunérés (de façon significative) par les détenteurs des droits. Les plus gros opérateurs peuvent investir lourdement dans les droits et même des droits exclusifs, avec des ambitions d’un retour sur investissement. Ce sera souvent d’abord au titre des investissements marketing pour développer leur part de marché sur le haut débit, et désormais accélérer le passage des abonnés au très haut débit (fibre, 4G/5G). On précisera au passage que cette conviction n’interdit pas de voir dans la consolidation des opérateurs télécoms et des groupes de télévision (encore plus émiettés), et des partenariats entre eux, des éléments d’une stratégie industrielle pour que l’Europe ne soit pas condamnée à subir la nouvelle phase de globalisation de l’audiovisuel. Ce ne serait qu’en suivant cette analyse que l’on pourrait peut-être dire que Jean-Marie Messier a eu raison mais trop tôt…

Plus généralement, l’enjeu pour les opérateurs de télécommunications reste de pouvoir investir de façon rentable dans les réseaux du futur dont nos économies ont besoin. Dans cette perspective, la vidéo en particulier, et au-delà, toute la diversité des applications et services du cloud, constituent des facteurs très favorables. Pas seulement parce qu’elles offrent des occasions de diversification les opérateurs peuvent certes investir dans les OTT ou chercher à monétiser leurs données mais aussi et surtout parce qu’elles renforcent la valeur de l’accès à ces réseaux, qu’elles ouvrent des espaces de différenciation en installant une concurrence qui ne soit plus simplement basée sur les prix.