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Article écrit par :

Yves Gassot

Ancien Directeur général

Beaucoup d’articles, à partir de détails sur l’histoire de Yahoo! et de ses occasions manquées, ont accompagné l’annonce de l’acquisition de Yahoo! par Verizon (à l’exception de ses brevets et de ses participations dans Alibaba et Yahoo Japan).

Verizon permettra-t-il à Yahoo de rebondir ?

La question la plus intéressante que l’on trouve dans ses commentaires est la suivante : Est-ce qu’intégré au groupe Verizon, Yahoo! va rebondir, alors que les changements majeurs de stratégie et de management de la décennie passée n’ont pas réussi à réduire l’écart (croissant) qui le sépare, sur le marché de la publicité, de Google et Facebook ?

Sont mis en avant les technologies dans l’eAdvertising et les contenus découlant de l’acquisition l’année passée d’AOL, et de quelques autres opérations, les accords passés avec les studios et des fédérations sportives ainsi que le lancement d’un service vidéo Go90 orienté vers les mobiles. L’addition de compétences techniques et de contenus peut probablement améliorer la part de marché du nouvel ensemble de quelques points, mais guère au-delà de 4 à 5% du marché de l’eAdvertising et donc très loin des 50% de Google et Facebook cumulés (quelques 70% si l’on se concentre sur l’Internet mobile). Mais d’autres atouts sont avancés pour le futur ensemble : les quelques 115 millions de clients mobiles de Verizon et les quelques 20 millions d’abonnés fixes de l’opérateur.

Quel est la place d’un investissement dans les contenus ou l’eAdvertising dans le business model des opérateurs ?

On bascule là sur un autre challenge qui ne concerne plus tellement le devenir de Yahoo! mais plus généralement l’avenir des telcos. On peut ainsi le présenter : est que les telcos peuvent freiner la tendance à la baisse de leurs revenus par de nouveaux business models impliquant le marché du contenu et celui de la publicité ? Même si Verizon est une des plus belles entreprises des télécommunications du monde avec un taux de marge remarquable, son chiffre d’affaires parait aujourd’hui orienté à la baisse, sous l’effet des coups de boutoirs de la concurrence (T-Mobile), d’un coup de frein dans le renouvellement et le subventionnement des smartphones, et de la suprématie du câble sur le marché fixe grand public.

La concurrence des services et acteurs OTT, souvent avancée, est un argument discutable si l’on considère que le secteur des mobiles était aux Etats-Unis en croissance jusqu’en 2015 bien après l’affirmation du poids des GAFA. Certes Netflix, Amazon ou Hulu peuvent avoir un impact négatif (« cord cutting ») sur les revenus des services fixes, mais il reste limité compte tenu des revenus TV d’un opérateur tel Verizon. En revanche, la créativité et le succès des services OTT, et notamment vidéo, se traduisent par une intensification des usages des accès haut débit mobiles et fixes, des demandes de débits plus élevés et une explosion du trafic. Fondamentalement ce sont là des opportunités de création de valeur pour les telcos même si cela s’accompagne d’un effort continu d’investissement.

Dans le contexte délicat de monétisation de la 4G et de la fibre, les telcos peuvent rechercher des approches complémentaires dans les contenus ou dans la valorisation de leur relation avec leurs clients par la publicité et plus généralement les marchés de la data. On peut étayer cette hypothèse par les opérations successives de Verizon précitées mais aussi par l’acquisition beaucoup plus conséquente d’AT&T qui a intégré l’année dernière le deuxième opérateur de payTV du pays, DirecTV[1], et plus proche de nous par les investissements conséquents de BT, Telefonica ou SFR dans les droits sportifs.

Où sont les atouts des telcos ?

On a tendance à mettre en avant le pipe, autrement dit l’infrastructure technique d’acheminement des programmes chez le consommateur. Cet argument nous semble devoir être relativisé à un moment où la concurrence dans les accès a tendance à devenir effective et où s’installe la Net Neutralité[2]. Les atouts des telcos paraissent toutefois plus crédibles sur trois points :

D’abord, s’ils sont gros et disposent de plusieurs dizaines de millions de clients, ils peuvent rivaliser avec les groupes de télévision traditionnels pour acquérir des droits et des exclusivités en amortissant les sommes engagées sur leurs abonnés. En fait la rationalité économique des investissements réalisés dans les contenus est également facilitée par la capacité à imputer une partie de ces charges sur les frais marketing si des gains d’images et surtout une progression dans les parts de marchés sont attendus sur leurs activités traditionnelles[3]. On fera cependant remarquer que sous cet angle –économie d’échelle- les purs OTT qui sont pour les plus puissants présents sur une grosse partie des marchés de la planète, ont encore un avantage sur les telcos. Netflix a ainsi dépassé 70 millions d’abonnés dans plus de 190 pays et annonce investir cette année $5 milliards dans les contenus. De notre point de vue, la tendance principale est là : une globalisation de la distribution des contenus qui s’affranchit des contraintes d’intermédiation des groupes nationaux de télévision, des cablo-opérateurs ou des telcos.

Le deuxième argument réside dans la relation des telcos avec leurs abonnés, leur réseau commercial (les boutiques en particulier), la qualité de l’écosystème qu’ils offrent à travers les interfaces utilisateurs et leurs boxes, et naturellement les données qui potentiellement leur donnent une connaissance assez précise du profil de leurs clients. Pour illustrer les choses, on pourrait dire que même si Netflix n’a pas besoin d’être référencé dans l’interface des telcos pour exister sur un marché national, cela peut l’aider.

Le troisième atout des telcos repose sur le recueil de données associé à cette relation avec le client. C’est un pouvoir de prescription et un potentiel de valorisation direct ou indirect sur le marché de la publicité programmatique. L’avantage est clair vis-à-vis des groupes de télévision qui schématiquement souffrent d’une absence de voie de retour leur permettant de cibler les consommateurs. Il l’est moins vis-à-vis des OTT qui ont su développer des modèles générant des données pertinentes sur les consommateurs. Il reste aussi à démontrer que le potentiel de valorisation des données des telcos passe principalement par un investissement dans les contenus. Google ou Facebook ne se présente pas comme des entreprises de media.

Les stratégies différentes des telcos.

En résumé, si les telcos veulent compléter les efforts de segmentation et différenciation pour monétiser leurs services d’accès par des revenus substantiels liés aux contenus, il faut qu’ils soient gros (et cela peut être aussi vu comme un argument pour des opérations de consolidation cross-market) pour supporter la globalisation en cours du marché des droits audiovisuels. Au-delà de leur implication dans les contenus, les telcos ont encore largement leur preuve à faire pour montrer qu’ils peuvent sérieusement disputer le leadership de Google et de Facebook sur le marché de l’eAdvertising… sans perdre le statut de tiers de confiance de leurs abonnés.

Dans ce contexte, il est clair que les stratégies des telcos sont assez différentes. Verizon s’est clairement engagé dans une opération à moyen terme qui se distingue en cela de l’opération AT&T-DirecTV qui table sur des synergies commerciales et financières rapides, ou des investissements dans les contenus des opérateurs européens (BT, SFR) qui cherchent principalement à disposer d’un élément de différenciation vis-à-vis de leurs pairs.

[1] Les stratégies d’AT&T et de Verizon mériteraient cependant une étude comparée car elles se distinguent par de nombreux aspects. Une remarque toutefois s’applique aux deux opérateurs : la croissance sur le marché US d’AT&T comme de Verizon ne peut pas se traduire par des opérations de consolidation dans les mobiles compte tenu de l’opposition de l’antitrust.

[2] Certes, le débat n’est pas terminé et il n’est pas encore aisé d’interpréter les exceptions au titre des services spéciaux ou d’anticiper le sort qui sera fait aux contenus offerts en « zero rating »…

[3] On pense en particulier à BT qui a investi lourdement dans les droits sportifs mais en a tiré une progression très significative de sa part de marché sur le haut et très haut débit.