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Si les usages explosent, les retombées économiques ne sont pourtant pas au rendez-vous pour les acteurs du numérique. D’abord, parce qu’aucun segment du secteur du numérique n’est immunisé contre une crise économique.

Le secteur du numérique croît d’ailleurs déjà habituellement moins vite que le PIB mondial tous secteurs confondus, comme le montre le Yearbook 2019 de l’IDATE Digiworld. Ensuite, car les ressorts de croissance de la plupart des segments du numérique ne reposent non pas sur le développement des usages unitaires par utilisateur mais sur l’augmentation du nombre d’utilisateurs (les offres d’abondance étant désormais très répandues dans les télécoms ou les contenus) et la démocratisation des usages.

Le secteur des télécoms n’est en effet plus un secteur résistant aux difficultés économiques, comme ce fut le cas il y a plus de 10 ans. La crise des dettes européennes l’a montré entre 2012 et 2015, avec des reculs très marqués des marchés en Espagne, Grèce ou Italie. Le rôle clé des réseaux comme support de l’ensemble des activités offre évidemment une certaine résistance (peu de désabonnement, peu de churn), sauf situations particulières (recul de 21 millions d’abonnés mobiles en Chine lié notamment au multi-abonnement1). Mais les utilisateurs n’hésiteront pas à arbitrer en cas de difficulté financière post-Covid en basculant sur des services gratuits. Les opérateurs offrent d’ailleurs pour la plupart durant la crise sanitaire des extras en termes de contenus et/ou de trafic/data (quand le trafic n’est pas déjà illimité) et ne monétisent donc globalement pas le surplus d’activité ; il s’agit surtout de maintenir la valeur. Ils vont même clairement perdre pendant la crise sanitaire sur les commissions de bouquets sportifs, faute de contenus en direct dans les prochains mois. L’impact pour les opérateurs sera toutefois surtout visible après la crise sanitaire, en fonction de la crise économique, plutôt que pendant. La période va aussi impliquer un ralentissement des déploiements réseaux et donc impacter les relais de croissance de l’après.

Le secteur IT suivra globalement la même logique sur les services B2B, d’autant plus que certains secteurs sont frappés très durement, dont notamment le tourisme ou le secteur automobile (ventes en recul de 80 % en Chine). Les investissements vont donc se décaler en conséquence dans le secteur informatique, même si les initiatives autour du cloud ou de la cybersécurité sont toujours d’actualité. L’IDATE Digiworld a analysé les innovations clés à 2025, faisant apparaître un mouvement majeur vers le phygital, ie des technologies mêlant composantes matérielles et composantes numériques. Ces technologies, notamment autour de la robotique (robotique de service essentiellement), de l’impression 3D ou des drones (surveillance, voire épandage), restent particulièrement pertinentes dans les circonstances actuelles en limitant les interactions humaines. Les pays les plus développés en tirent parti pour continuer à opérer au mieux les services. Les investissements préventifs pourraient s’accroître dans le futur dans ces domaines, mais aussi autour de la réalité virtuelle. La robotique est particulièrement à suivre : les robots sont utiles pour aider aux diagnostics (à l’aide de l’imagerie notamment, de capteurs de température), apporter les repas, donner les médicaments aux patients, désinfecter les locaux et réduire ainsi les risques de contamination en évitant la proximité avec les malades.

Le secteur des services Internet et des contenus numériques repose encore fortement sur des monétisations indirectes, via la publicité ou l’e-commerce. Or, ces deux financements sont directement reliés aux autres secteurs économiques, qui limitent leurs investissements faute de pouvoir vendre correctement leurs produits. Si le temps passé sur les médias explose, les annonceurs reportent leurs campagnes publicitaires sur tous les formats, y compris en ligne. Près d’un quart des annonceurs ont annoncé suspendre toutes leurs campagnes en ligne et le secteur s’attend déjà à une baisse d’activité de 20 % par rapport à leurs dépenses prévues initialement (source : IAB2). En France, les pertes attendues sur le marché du display pourraient même atteindre 30 % sur l’année. En télévision, les annonceurs ont aussi globalement déserté en dehors du secteur alimentaire et les grands groupes médias comme TF1 s’attendent à des pertes d’au moins 50 % sur avril. La plus grande surprise d’un point de vue économique reste autour du e-commerce, qui ne profite clairement pas de la fermeture des magasins physiques, sauf dans le domaine alimentaire (en particulier pour les drives et les services de livraison à domicile). Les ventes reculent pour plus des ¾ des sites d’e-commerce en France (source : Fevad3), souffrant de difficultés d’approvisionnement et la chaîne logistique n’est pas en mesure de suivre. Cette tendance se retrouve dans la plupart des pays européens sauf en Autriche, Belgique et Espagne. Cette chute de l’e-commerce se retrouve évidemment aussi autour des terminaux numériques, notamment smartphones.

Dans les contenus payants, enfin, les modèles d’abonnement illimités sont souvent fréquents. La croissance des usages n’implique donc pas de gains additionnels, mais augmente les coûts. Et la crise économique peut inciter à des arbitrages en cas de multi-abonnements. Les plates-formes de SVoD sont déjà puissantes, mais pourraient profiter de la crise alors que les contenus se raréfient sur la TV linéaire (arrêt du sport, étalement des programmes phares dans le temps). En dehors des modèles d’abonnement, le marché des achats d’applications mobiles payantes (notamment autour des jeux) fait figure d’exception, avec une forte croissance (source : AppAnnie4), captant probablement les dépenses de divertissement affectées d’habitude au tourisme et aux loisirs.

Les différents segments du secteur numérique seront tous impactés mais pas au même rythme. Le secteur de la publicité (et donc des services Internet et des médias) est impacté fortement sans attendre. Le secteur IT suivra assez vite, profitant toutefois à court terme partiellement de travaux déjà engagés et pouvant souvent être poursuivis à distance.  Enfin, les télécoms et les contenus payants (déjà matures sauf peut-être les jeux vidéo) devraient résister voire croître parfois en captant parfois les revenus d’autres secteurs dont les usages sont restreints par la crise sanitaire. Mais tous les secteurs souffriront en sortie de crise sanitaire de la crise économique.

La crise sanitaire ne profite finalement pas vraiment au secteur numérique, car il manque un véritable modèle économique complémentaire pour assurer une diffusion à très grande échelle, au-delà des early adopters urbains et technophiles, et capter ainsi les revenus des autres secteurs. De ce point de vue, la crise sanitaire n’a rien changé.

 

https://www.rcrwireless.com/20200327/business/chinese-operators-lose-21-million-subscribers
https://www.iab.com/insights/coronavirus-ad-spend-impact-buy-side/
3 https://www.fevad.com/etude-sur-limpact-du-covid-19-sur-le-e-commerce-en-europe/
4 https://www.appannie.com/fr/insights/market-data/weekly-time-spent-in-apps-grows-20-year-over-year-as-people-hunker-down-at-home/