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Le marché des services télécoms aura connu finalement en 2016, dans les pays occidentaux, une situation assez médiocre : une tendance à la stabilisation en Europe après une chute continu des chiffres d’affaires depuis 2008 sur les principaux marchés, et une tendance globale au recul des revenus du mobile aux Etats-Unis, en rupture avec la dynamique qu’avait su préserver AT&T et Verizon jusqu’en 2015.

Dans ce contexte, les opérateurs européens sont naturellement sensibles aux mouvements stratégiques des deux grands leaders US, notamment vis-à-vis de l’industrie des contenus : que veulent faire AT&T et Verizon en investissant dans les contenus ?

Se préserver du bypass par streaming  vidéo en remontant la chaîne de valeur jusqu’à la production.

La vidéo étant devenu le principal vecteur du trafic (sur réseaux fixe et mobile), ils ne peuvent se contenter de distribuer des chaînes ou des programmes de tiers, surtout si ces acteurs se lancent dans l’auto-distribution et que la Net Neutralité est respectée. Cette stratégie s’apparente aux mouvements classiques d’intégration verticale.

Derrière cette stratégie finalement plutôt défensive, il peut y avoir une approche plus agressive : jouer totalement la carte OTT en s’affranchissant  de leur footprint (et des Capex associés à un élargissement continu du nombre de homes passed) et en allant chercher la clientèle sur tous les réseaux fixes/mobiles d’accès à l’Internet (et pas seulement celle qui est sur ses pipes). C’est là une vraie diversification puisque la connectivité physique devient secondaire.

Au-delà de ces perspectives, il faut avoir en tête la situation d’AT&T et de Verizon sur leurs marchés. Les deux groupes font face à un ralentissement brutal de leur croissance essentiellement portée par les mobiles depuis 10 ans, tandis qu’ils jouent un rôle secondaire sur le marché résidentiel fixe très largement dominé par le câble. Avec peu de perspectives attrayantes d’investissements à l’international et jusqu’alors (Administration Obama) un antitrust qui leur interdit des opérations de croissance sur le marché mobile domestique, les deux opérateurs, encore très puissants, ont de réelles raisons à s’intéresser aux contenus pour maintenir leurs résultats et les dividendes qu’ils versent aux actionnaires. Mais c’est là que les approches semblent différer.

En schématisant volontairement, un dirigeant de Verizon expliquait récemment qu’AT&T voulait prendre des parts du marché de la TV actuelle tandis que Verizon s’intéressait au marché de la vidéo qui sera porté par les millennials… Autrement dit, plutôt que d’acheter très cher des assets qui risquent d’être dépassés par les nouveaux modes de consommation de la vidéo, Verizon préfère construire patiemment une compétence dans l’économie de la data qui sous-tendra la consommation de vidéo (notamment les revenus en croissance de la publicité programmatique). Ce qui est sûr, c’est que les sommes engagées par AT&T pour l’acquisition de DirecTV et (sous réserve d’un accord de l’Administration Trump) de Time Warner sont infiniment plus élevées que celles avancées par Verizon pour AOL, Huffington, OnCue, plusieurs autres start up (Vessel) et probablement, Yahoo ! Il est difficile aujourd’hui de dire pour autant ce qui est le plus risqué.

Quels liens avec le débat sur la Net Neutralité ?

La future Administration Trump n’a pas caché son hostilité radicale à la Net Neutralité (jusqu’à revoir le classement des ISP dans le Titre II du Telecom Act). A priori cela réjouit les telcos qui sont largement restés hostiles à la réglementation mise en place par l’Administration Obama ; ils peuvent au minimum considérer comme acquis, avec la nouvelle administration, le droit d’offrir des contenus, notamment sur les réseaux wireless, en mode Zero rating à l’instar des offres de T-Mobile (Binge On), de Verizon (Go90) et d’AT&T (DirecTV Now).

Au regard des deux points précédents que pourrait-il se passer avec l’abandon ou l’assouplissement de la Net Neutralité ?

On pourrait estimer que si la Net Neutralité est supprimée, le risque de by-pass par des offres vidéo (chaînes et SVOD) en streaming est relativement sous le contrôle des opérateurs. Est-ce que cela va jusqu’à annihiler leur intérêt pour un investissement dans les contenus ? Pas obligatoirement, les exclusivités peuvent demeurer attractives et donc utiles pour se démarquer de la concurrence. Mais les  gros opérateurs qui peuvent amortir l’acquisition de droits sur des dizaines de millions d’abonnés, peuvent s’engager avec la perspective d’être moins challengés par les groupes de télévision et les géants de l’OTT.

Mais dans le même temps, la suppression de la Net Neutralité peut rendre plus difficile la carte d’une stratégie OTT sur les réseaux des opérateurs tiers…

Enfin n’oublions pas les autres effets possibles de la nouvelle Administration à Washington :

  • si l’impôt sur les sociétés baissent (passant de 35% à 20%, voire 15%), le cash flow d’AT&T et Verizon va se trouver gonfler de 5 à plus de 8 milliards USD…
  • dans le même temps la rigueur de l’antitrust qui avait interdit successivement les opérations de fusion AT&T/Sprint et Sprint/T-Mobile, devrait très significativement s’adoucir en ouvrant de nouvelles perspectives de M&A ;
  • dès lors, la consolidation pourrait mettre un terme à la dégradation des résultats d’AT&T et de Verizon sur le mobile et rendre moins pressant leur repositionnement sur l’industrie des contenus.

On est donc, à l’orée de 2017, devant un jeu de conjectures assez ouvert…