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Article écrit par :

Jean-Luc Lemmens

Président Directeur général

Interview de Jean-Luc LEMMENS, Directeur du pôle Media-télécom, IDATE DigiWorld.

Q : Si le déploiement de fibre optique semble être une évidence aujourd’hui, toutes les stratégies des opérateurs sont-elles semblables ?

La transition des technologies ADSL vers les offres de type Next Generation Access (NGA) se présente de différentes manières selon les opérateurs, leur contexte réglementaire et l’accès à l’investissement public.

Certains opérateurs ont opté pour un déploiement de bout en bout raccordant en fibre optique chaque logement et chaque entreprise. D’autres opérateurs ont choisi de pousser les réseaux de fibre optique mais sans aller jusqu’à l’abonné. Ils s’appuient alors sur des technologies alternatives basées sur des réseaux de cuivre ou de câble coaxiaux.

La technologie continue de progresser sans cesse pour tirer le meilleur parti de ces réseaux non fibrés. Les normes DOCSIS 3.1 sur le câble coaxial et XG.fast sur le cuivre permettent d’obtenir des débits impressionnants, atteignant plusieurs gigabits par seconde.

Le choix de ne pas installer de la fibre optique est souvent lié à une volonté de mieux contrôler les dépenses d’investissements. Dans des environnements où la concurrence exige un déploiement rapide, où l’accès aux infrastructures est difficile et où le cadre réglementaire n’assure pas une sécurité de long terme, on peut comprendre que des opérateurs préfèrent choisir une voie intermédiaire entre le DSL et le tout-fibre.

Je doute pourtant que ces solutions hybrides soient pérennes dans le temps. En effet, malgré les très bonnes performances des nouvelles technologies permettant de compléter la fibre, celles-ci souffrent toujours de certaines faiblesses : la diminution de la performance du débit avec la distance ou des débits non symétriques laissant la portion congrue à l’upload. Si de nouveaux acteurs proposent aux clients de ces marchés des solutions fibrée de bout en bout, il est certain que la seule solution pour répondre à ces nouveaux entrants sera de déployer également la fibre jusqu’à l’abonné.

La généralisation des accès FTTH dans le monde va favoriser l’éclosion de nouveaux services basés sur les spécificités de cette technologie. Je pense tout particulièrement à la symétrie des débits sur la fibre. Disposant de débits montants presque sans limite, des usages se développeront, par exemple sur la base d’infrastructures cloud. Les usagers bridés dans leurs usages par des débits montants trop faibles réclameront ou se tourneront alors vers des solutions intégralement fibrées.

Si le déploiement de technologie n’utilisant pas la fibre de bout en bout semble être une bonne stratégie de prime abord, je crains qu’elle ne conduise certains opérateurs télécoms à devoir réinvestir plus tôt qu’ils ne l’auraient prévu pour « terminer » le lien fibre jusqu’à l’abonné et perdre ainsi le bénéfice d’un déploiement progressif.

Q : Les clients vont-ils continuer à vouloir toujours plus de débit ?

C’est évidemment une question légitime. On lit ici et là qu’il n’est pas évident que les clients pourraient vouloir disposer de plus d’un ou deux flux vidéo.

Cette question est presque aussi ancienne que l’Internet. Dès les années 90, certains affirmaient qu’un modem à 28 kbps était inutile et de même pour 56 kbps et ainsi de suite. Les tenants numériques de Thomas Malthus ont toujours existé.

Dans la réalité et depuis que l’Internet existe, on a toujours vu des usages se développer en parallèle des capacités des réseaux. L’augmentation prodigieuse des capacités des réseaux de fibre optique de bout en bout va permettre, notamment grâce à la symétrie des débits, de lancer de nouveaux services interagissant avec de nombreux équipements du foyer en plus de ses différents membres.

La soif pour plus de débit n’est pas près de s’éteindre.

Q : La 5G va-t-elle profondément changer la donne pour les services FTTH ?

Je ne le pense pas.

La seule 5G capable de rivaliser avec la qualité de service du FTTH se base sur les ondes millimétriques situées entre 26 et 28 GHz. Les antennes permettant d’utiliser ces fréquences ont des portées réduites à quelques centaines de mètres.

Dans les zones urbaines, la densité de l’habitat rendra cette technologie compliquée à déployer et économiquement peu intéressante car le déploiement du FTTH y sera moins onéreux.

Dans les zones rurales, la faible portée de ces antennes ne permettra pas de couvrir suffisamment de foyers pour être rentable. Dans les pays où des schémas de subventions seront mis en place pour le FTTH en milieu rural, comme c’est le cas en France, le modèle d’une 5G concurrente de la fibre sera encore plus difficilement tenable.

Le modèle d’une 5G compétitive avec la fibre ne se trouvera que dans des pays bénéficiant de circonstances assez particulières. Plutôt en zone semi-urbaine, un opérateur disposant d’une part de marché suffisamment importante et ne faisant pas face à des opérateurs FTTH bénéficiant de subventions ou de la possibilité de partager les coûts d’infrastructures à plusieurs, pourra peut-être tirer son épingle du jeu. On peut imaginer que certains marchés nord-américains devenus des duopoles de facto pourraient voir ce genre de modèle se développer.

Je reste pourtant convaincu que ces situations resteront assez marginales.

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