1 Partage

Article écrit par :

Moment privilégié dans l’agenda de l’industrie des télécoms, le Mobile World Congress (26 fév.- 1er mars, Barcelone) a rassemblé plus de 2 000 exposants venus de 200 pays ; dans des allées parcourues par plus de 50 000 visiteurs.
DigiWorld Yearbook distribution during Mobile World Congress 2018

L’IDATE DigiWorld y participait, comme chaque année, en tant qu’analyst partner. Les experts IDATE DigiWorld vous proposent une synthèse de ce qui les a marqués, à travers les interviews de Florence Le Borgne, Lead analyst ‘TV & Digital Content’, de Frédéric Pujol, Lead analyst 5G, de Samuel Ropert, Lead analyst IoT, et de Jean-Dominique Séval, Directeur général adjoint.

Q : Le Mobile World Congress est toujours une très bonne occasion de prendre le pouls de la planète télécom. Quels sont les principaux enseignements de cette édition ?

Ce qui me frappe à l’occasion de cette édition, c’est de voir se confirmer concrètement, au travers des annonces et des démonstrations présentées, une intuition qui s’est forgée depuis le début de cette année. Nous avions en effet l’impression que le calendrier des technologies clés qui vont structurer l’économie numérique des prochaines années était en train de s’accélérer. Ce qui est assez rare pour être souligné : en effet nous sommes plus souvent habitués, en tant qu’analystes, à enregistrer des reports successifs entre les premières annonces, souvent volontaristes, et la montée en puissance réelle des marchés.

Or il semble bien aujourd’hui que nous assistons à une réévaluation des calendriers de quelques technologies clés. Toutes les technologies présentes dans le Top 10 de l’IDATE DigiWorld (cf. figure ci-dessous) étaient bien sûr présentes à Barcelone. Mais ce qui est nouveau, c’est bien l’avancée du calendrier des plus structurantes d’entre elles, tant pour la dynamique de l’économie numérique en tant que telle, que pour l’ensemble de l’économie : les réseaux avec la 5G, les softwares dopés à l’IA et les applications de l’IoT avec les voitures autonomes.

5G : Les premiers lancements commerciaux attendus dès 2019… en Asie

La 5G a été la véritable vedette du salon (comme le détaille l’interview de Frédéric Pujol dans les pages suivantes). À la différence de l’an dernier, il ne s’agissait plus seulement de mettre en avant les catalogues d’offres des équipementiers, mais bel est bien de présenter des démos et d’annoncer des calendriers. On attendait la 5G après 2020, les premières commercialisations des services sont finalement prévues pour 2019 notamment en Chine et en Corée du Sud, comme l’a souligné Börje Ekholm, CEO d’Ericsson, dans sa conférence d’ouverture aux analystes.

Un calendrier qui met l’Europe sous pression. Un engagement européen vise à ce qu’en 2020 au moins une grande ville soit connectée dans chaque pays de l’Union européenne. Une ambition qui reste modeste pour les grands pays de la zone, et qui a fait dire à Mounir Mahjoubi, Secrétaire d’État chargé du numérique, qu’il souhaitait « des ambitions plus vives pour la France », même si des essais se mettent en place dès le milieu de cette année à Bordeaux avec Bouygues Telecom, et à Lille et Douai avec Orange.

Tous les opérateurs en faisaient la promotion, en rivalisant d’imagination pour mettre en avant les applications les plus variées et les bénéfices de la 5G, comme China Mobile dans le domaine industriel (photo ci-dessous).

Remote controlled robot based on 5G technologies, China Mobile and ABB Group.

Photo/Xinchua, Mobile World Congress 2018

L’intelligence artificielle s’invite du cœur des réseaux à tous les terminaux

L’intelligence artificielle, comme dans tous les domaines, innerve désormais tous les applicatifs télécoms. Elle s’embarque bien sûr dans les terminaux, comme dans le nouveau venu de la gamme LG, le LG V30S ThinQ, qui, enrichie d’une fonction AI Cam de prise de vue intelligente (Google Assistant), peut reconnaître un type de scène ou d’objet (portrait, animal, paysage, plat…) et adapter les préréglages pour une photo parfaite. Mais plus généralement, l’IA est désormais au cœur des terminaux, puisque les concepteurs de processeurs, comme Qualcomm, ARM, Samsung ou Huawei, intègrent des modèles de machine learning à leurs propres puces afin de faciliter l’usage du smartphone.

L’IA s’invite bien entendu aussi au cœur des réseaux. Comme Ericsson en a fait le pari en utilisant les possibilités du Machine learning pour optimiser la gestion des réseaux et prédire les évolutions du trafic, mais aussi maîtriser les coûts ou améliorer la qualité de service. Des gains importants sont attendus, comme le souligne le CTO d’Ericsson, Erik Ekudden : “With automation and domain specific AI, the intelligence built into the network platform provides superior performance while optimizing use of scarce radio network resources.”

Les opérateurs ne sont pas en reste, qui tentent, comme Telefonica, d’accroître leur présence au sein des foyers, en lançant à l’occasion du Mobile World Congress son propre assistant vocal, Aura, développé en partenariat avec Microsoft, et son assistant personnel Cortana. L’objectif est clairement, comme l’a annoncé Chema Alonzo, son Chief Data Officer, de prendre de vitesse les géants du Net dans six pays où Telefonica propose une gamme de services étendue.

Aura, Telefonica’s voice assistant presentation by Chema Alonso, CDO

Photo/Nic Fildes, Mobile World Congress 2018

La voiture connectée à marche forcée pour préparer la voiture autonome

Au cœur des très nombreuses démonstrations d’Internet des objets, la voiture occupe, sans surprise, une place de choix.

Les toutes premières voitures faisaient l’évènement il y a encore seulement trois ans au Mobile World Congress sur les stands de quelques opérateurs comme AT&T. Cette année, les constructeurs automobiles sont très présents pour dévoiler leurs nouveautés comme Seat, BMW ou Mercedes. Il s’agit, en attendant la banalisation des voitures autonomes, annoncée à partir de 2020 (on peut déjà croiser une centaine de taxis autonomes Uber-Volvo dans les rues de Pittsburgh !), d’inviter la connectivité et les applications aux seins des véhicules connectés.

C’est sans doute Seat qui a fait le plus parler de lui, en annonçant le développement futur de la 5G dans ses voitures. Mercedes présentait une application iOS (celle sur Android est annoncé pour bientôt) remplaçant les guides d’utilisation de ses voitures (nouvelle Classe A, Classe C, Classe S, …), et qui, associée à un chatbot, peut répondre aux demandes des utilisateurs. BMW a aussi présenté Digital Key, une clé numérique pour déverrouiller une BMW à l’aide d’un smartphone et partageable jusqu’à 5 utilisateurs.

Q : Au-delà de ce constat, qu’elles ont été les autres faits marquants du Mobile World Congress 2018 ?

Au cœur de chaque Mobile World Congress, les smartphones occupent une place de choix, même si cette année, peu de réelles nouveautés sont venues animer le salon. Si tous les leaders, Samsung ou Huawei, ont présenté leur nouvelle gamme, la tendance la plus visible reste le positionnement des fabricants par rapport à l’IPhone X d’Apple, grand absent du salon comme à son habitude. À titre d’exemple, citons seulement la reprise de l’encoche, située en haut de l’écran, par de nombreux constructeurs. L’occasion de découvrir de nombreuses marques chinoises largement inconnues en Europe, comme GooPhone, Doogee, Oukitel, Ulefone, …

S’il y a peu de chance que l’on voit ces marques percer en Europe, il en va tout autrement de Xiaomi qui a fait, à l’occasion de cette édition, une première démonstration de force. Déjà classé en quatrième position avec 7% de part de marché au niveau mondial au quatrième trimestre 2017, le constructeur chinois a lancé les opérations en ouvrant sa première boutique en Espagne, tandis qu’une rumeur, non confirmée, l’annonce en France, probablement en avril 2018.

À noter que si la disparition des montres connectés, qui furent pourtant les vedettes des éditions précédentes, l’innovation n’était pas absente du salon. Je n’en retiendrai que deux exemples, parmi de très nombreux autres.

En tant que membre du Jury des Business France Awards, j’ai eu le plaisir de distinguer, une start-up prometteuse : Biggerpan. Cette entreprise a développé un moteur d’intelligence artificielle prédictive pour mobile qui anticipe le besoin des utilisateurs de smartphones afin de leur proposer des contenus, services et achats pertinents en temps réel. Au fil de la navigation, quelle que soit l’application que vous utilisez, le moteur prédictif vous propose un accès direct aux contenus les plus adaptés, en utilisant les informations « profondes » du smartphone. Une technologie qui intéresse des opérateurs à la recherche de services innovants et permettant de se différencier des services proposés par le standard omniprésent Android.

Les voitures autonomes ne sont pas encore dans nos rues, que déjà nous devons mettre sur notre agenda les voitures volantes, qui permettront à nos routes de se projeter dans la 3ème dimension. Le constructeur chinois EHang a attiré les flashes des smartphones présents en présentant le prototype d’un drone taxi unipersonnel. Si Uber avait fait parler de lui en dévoilant un taxi volant développé avec Bell Helicopter au CES 2018 (premier test attendu en 2020), EHang, qui avait annoncé son modèle dès 2016, a fait ses premiers vols cette anné, avec des performances de 50 kilomètres pour une altitude de 500 mètres et une heure d’autonomie.

Prototype du Flying taxi EHang 184

Photo/Séval, Stand Innovation City, Mobile World Congress 2018

Je mentionnerai, pour terminer, la salve d’annonces du groupe Rakuten, qui a profité du Mobile World Congress et de sa récente position de sponsor maillot du très prestigieux club de foot du Barça, pour lancer une nouvelle phase de sa stratégie de conquête internationale. Un mouvement à suivre, car face aux géants du Net étatsuniens et chinois, les offensives globales sont rares. Il s’agit, pour le leader japonais au plus de 100 millions de clients sur ses terres, d’intégrer sous sa marque l’ensemble des très nombreux achats que son trésor de guerre lui a permis de réaliser au cours de ces dernières années : le service de messagerie pionnier Viber se transforme en Rakuten Viber, le site de VOD espagnol Wuaki devient Rakuten TV et le site d’e-commerce français Priceminister devient Rakuten Priceminister. Au-delà de ce nouvel affichage, le groupe souhaite reproduire la recette qui lui a si bien réussi au japon, en créant un écosystème complet de services cimenté par le gain de points qui agit comme une quasi-monnaie interne. À noter qu’au Japon, Rakuten entend jouer les trouble-fêtes, en devenant, s’il obtient sa licence dans les semaines qui viennent, quatrième opérateur mobile avec la volonté de lancer une véritable guerre des forfaits.